La loi Bourquin, entrée en vigueur en 2018, a profondément transformé le paysage de l’assurance emprunteur en France. Cette réforme législative, qui porte le nom de la députée Dominique Bourquin, a instauré un droit de résiliation annuelle des contrats d’assurance de prêt immobilier. Avant cette loi, les emprunteurs se trouvaient souvent captifs des contrats proposés par leurs établissements bancaires. Désormais, ils bénéficient d’une liberté accrue pour changer d’assureur et potentiellement réduire le coût total de leur crédit immobilier. Cette évolution s’inscrit dans une dynamique législative visant à renforcer la protection des consommateurs et à stimuler la concurrence dans un secteur longtemps verrouillé par les banques. Examinons en détail les obligations et les opportunités issues de cette réforme majeure.
Les fondements juridiques de la loi Bourquin
La loi Bourquin constitue une extension de la loi Hamon de 2014, qui avait déjà introduit une première brèche dans le monopole des banques en matière d’assurance emprunteur. Si la loi Hamon permettait aux emprunteurs de changer d’assurance durant la première année du prêt, la loi Bourquin va plus loin en instaurant un droit de résiliation annuelle tout au long de la durée du crédit.
Cette loi s’inscrit dans l’amendement 59 quater du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Elle modifie l’article L.313-30 du Code de la consommation qui stipule désormais que « l’emprunteur peut résilier le contrat d’assurance à chaque échéance annuelle ».
Le législateur a souhaité garantir aux consommateurs une plus grande liberté de choix, tout en s’assurant que le niveau de protection reste équivalent. Ainsi, l’article L.313-30 précise que le prêteur ne peut pas refuser en garantie un autre contrat d’assurance dès lors que ce contrat présente un niveau de garantie équivalent au contrat d’assurance de groupe qu’il propose.
Chronologie législative et évolution du cadre réglementaire
L’évolution du cadre législatif concernant l’assurance emprunteur s’est faite par étapes successives :
- 2010 : Loi Lagarde – Première possibilité de délégation d’assurance lors de la souscription du prêt
- 2014 : Loi Hamon – Droit de substitution pendant les 12 premiers mois du prêt
- 2017 : Loi Bourquin – Droit de résiliation annuelle pendant toute la durée du prêt
- 2022 : Loi Lemoine – Renforcement des dispositions avec suppression du questionnaire médical pour certains prêts
La jurisprudence a joué un rôle déterminant dans l’application effective de ces dispositifs. Plusieurs décisions du Conseil d’État et de la Cour de cassation ont confirmé la volonté du législateur de favoriser la concurrence et la mobilité des assurés. Notamment, l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mai 2021 a précisé que le caractère équivalent des garanties doit s’apprécier garantie par garantie et non globalement.
Le mécanisme de résiliation annuelle et ses conditions d’application
La loi Bourquin a mis en place un dispositif précis pour encadrer le droit de résiliation annuelle. Ce mécanisme obéit à des règles strictes que l’emprunteur doit respecter pour exercer valablement son droit.
Premièrement, la résiliation ne peut intervenir qu’à la date anniversaire du contrat d’assurance. Cette date correspond soit à la date de signature de l’offre de prêt, soit à la date de signature du contrat d’assurance si celle-ci est postérieure. L’emprunteur doit notifier sa demande de résiliation par lettre recommandée avec accusé de réception au moins deux mois avant cette date anniversaire.
La demande de résiliation doit être accompagnée d’une proposition de contrat alternatif présentant des garanties au moins équivalentes à celles du contrat initial. C’est sur ce point que réside l’une des principales difficultés d’application de la loi, car l’appréciation de l’équivalence des garanties a donné lieu à de nombreux contentieux.
La procédure de résiliation étape par étape
La procédure de résiliation se déroule selon un calendrier précis :
- L’emprunteur adresse sa demande de résiliation et son nouveau contrat à la banque
- La banque dispose de 10 jours ouvrés pour notifier à l’emprunteur sa décision d’acceptation ou de refus
- En cas de refus, la banque doit motiver sa décision de manière explicite
- En cas d’acceptation, la résiliation prend effet 10 jours après la notification de l’acceptation
Il convient de noter que depuis la loi Lemoine de 2022, les délais de réponse des établissements bancaires ont été réduits et les obligations d’information renforcées. Les banques doivent désormais informer annuellement leurs clients de leur droit à résiliation, sous peine de sanctions administratives prononcées par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).
En cas de refus abusif de la part de la banque, l’emprunteur peut saisir le médiateur bancaire ou porter l’affaire devant les tribunaux. Plusieurs décisions de justice ont condamné des établissements pour des pratiques dilatoires visant à entraver l’exercice du droit de résiliation.
L’équivalence des garanties : un critère déterminant
L’équivalence des garanties constitue la pierre angulaire du dispositif instauré par la loi Bourquin. Ce critère est fondamental car il permet à la banque de s’assurer que le nouveau contrat d’assurance offre une protection suffisante pour couvrir le risque lié au prêt immobilier.
Selon l’article R.313-3 du Code de la consommation, l’équivalence des garanties s’apprécie au regard des critères définis par le Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF). Ces critères, au nombre de 18, couvrent différents aspects comme la quotité assurée, les risques couverts (décès, invalidité, incapacité de travail, perte d’emploi), les exclusions de garantie, ou encore les délais de carence.
La jurisprudence a précisé que l’équivalence doit être appréciée garantie par garantie, et non de manière globale. Ainsi, un contrat proposant une meilleure couverture sur certains risques mais une protection moindre sur d’autres pourrait être légitimement refusé par la banque.
Les critères d’équivalence définis par le CCSF
Les 18 critères du CCSF peuvent être regroupés en plusieurs catégories :
- Critères relatifs à la garantie décès : couverture jusqu’à un âge déterminé, prise en charge du suicide, etc.
- Critères relatifs à la garantie PTIA (Perte Totale et Irréversible d’Autonomie) : définition de l’invalidité, conditions d’indemnisation
- Critères relatifs à la garantie incapacité : délai de franchise, mode d’indemnisation (forfaitaire ou indemnitaire)
- Critères relatifs à la garantie invalidité : taux d’invalidité pris en compte, référentiel utilisé (sécurité sociale ou contractuel)
Il est à noter que certains établissements bancaires ont développé leurs propres grilles d’équivalence, parfois plus restrictives que les critères du CCSF. Cette pratique a été encadrée par la loi Lemoine qui précise que les établissements ne peuvent pas exiger un niveau de garantie supérieur à celui qu’ils proposent eux-mêmes dans leur contrat groupe.
La Fédération Bancaire Française (FBF) et la Fédération Française de l’Assurance (FFA) ont élaboré des fiches standardisées d’information pour faciliter la comparaison des contrats et l’appréciation de l’équivalence des garanties.
Les impacts économiques et concurrentiels de la loi Bourquin
L’entrée en vigueur de la loi Bourquin a considérablement modifié le paysage concurrentiel du marché de l’assurance emprunteur, estimé à environ 10 milliards d’euros de primes annuelles. Traditionnellement dominé par les bancassureurs qui détenaient près de 85% des parts de marché, ce secteur s’est progressivement ouvert à la concurrence.
Selon les données de la Fédération Française de l’Assurance, la part des contrats alternatifs (ou délégations d’assurance) est passée de 15% en 2016 à près de 25% en 2022. Cette évolution témoigne d’une réelle dynamique concurrentielle, même si les banques conservent une position dominante.
Les économies réalisées par les emprunteurs sont significatives. D’après une étude du courtier Securimut, le gain moyen constaté lors d’un changement d’assurance s’élève à environ 10 000 euros sur la durée totale du prêt, soit une réduction moyenne de 50% du coût de l’assurance. Ces économies sont particulièrement importantes pour les emprunteurs jeunes et en bonne santé, qui bénéficient de tarifs plus avantageux auprès des assureurs alternatifs qui pratiquent une tarification individualisée.
La réaction des acteurs du marché
Face à cette nouvelle donne concurrentielle, les acteurs du marché ont dû adapter leurs stratégies :
- Les banques ont revu leurs tarifs à la baisse sur certains segments de clientèle et ont développé des offres plus personnalisées
- Les assureurs alternatifs et courtiers ont intensifié leurs campagnes marketing et simplifié leurs procédures de souscription
- De nouveaux acteurs, notamment des assurtech, ont fait leur entrée sur le marché avec des offres 100% digitales
Cette intensification de la concurrence a entraîné une pression à la baisse sur les marges des opérateurs, mais a surtout bénéficié aux consommateurs qui disposent désormais d’une offre plus large et plus compétitive.
Néanmoins, certaines pratiques contestables persistent. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a relevé dans plusieurs rapports des cas de vente forcée, d’information insuffisante ou de manœuvres dilatoires visant à décourager les emprunteurs souhaitant exercer leur droit à la substitution d’assurance.
Les défis pratiques et les perspectives d’évolution de la législation
Malgré les avancées significatives permises par la loi Bourquin, plusieurs défis persistent dans sa mise en œuvre effective. Le premier concerne l’information des emprunteurs. De nombreux consommateurs ignorent encore leur droit à changer d’assurance annuellement ou sont découragés par la complexité perçue des démarches.
Un autre obstacle réside dans les pratiques commerciales de certains établissements bancaires qui peuvent user de leur position dominante pour dissuader les emprunteurs de faire jouer la concurrence. Ces pratiques prennent diverses formes : demande de documents non prévus par la loi, allongement artificiel des délais de traitement, ou interprétation restrictive des critères d’équivalence.
La loi Lemoine de février 2022 a tenté de remédier à ces difficultés en renforçant les obligations d’information des prêteurs et en simplifiant les procédures. Elle a notamment imposé aux banques d’informer leurs clients, chaque année, de leur droit à résiliation et des modalités pour l’exercer.
Vers une harmonisation européenne ?
Au niveau européen, la question de l’assurance emprunteur fait l’objet d’approches diverses selon les pays. Si la France dispose désormais d’un cadre particulièrement protecteur pour les consommateurs, d’autres pays européens n’ont pas développé de législation spécifique aussi élaborée.
La Commission européenne s’est intéressée à cette question dans le cadre de son agenda pour un marché unique des services financiers. Des réflexions sont en cours pour harmoniser certaines pratiques et renforcer la mobilité des consommateurs dans le domaine des services financiers, y compris l’assurance emprunteur.
En attendant une éventuelle harmonisation européenne, le cadre français continue d’évoluer sous l’impulsion de la jurisprudence et des autorités de régulation. L’ACPR joue un rôle croissant dans la surveillance des pratiques commerciales et n’hésite pas à sanctionner les établissements qui ne respectent pas leurs obligations légales.
Les opportunités pour les emprunteurs : comment optimiser son assurance de prêt
La loi Bourquin offre aux emprunteurs une opportunité significative d’optimiser le coût de leur assurance de prêt immobilier. Pour en tirer pleinement parti, il convient d’adopter une démarche méthodique.
Première étape indispensable : l’analyse du contrat actuel. L’emprunteur doit identifier les garanties dont il bénéficie, les exclusions éventuelles, ainsi que le taux d’assurance appliqué. Ces informations figurent dans le contrat d’assurance et dans la fiche standardisée d’information qui a dû être remise lors de la souscription.
Vient ensuite la recherche d’offres alternatives. Plusieurs options s’offrent à l’emprunteur : solliciter directement des assureurs spécialisés, passer par un comparateur en ligne, ou faire appel à un courtier. Cette dernière solution présente l’avantage de bénéficier d’un accompagnement personnalisé tout au long du processus de substitution.
Conseils pratiques pour réussir sa démarche de substitution
Pour optimiser ses chances de réussite, l’emprunteur doit respecter plusieurs points de vigilance :
- Anticiper la démarche en s’y prenant au moins 3 mois avant la date anniversaire du contrat
- Vérifier minutieusement l’équivalence des garanties entre l’ancien et le nouveau contrat
- Conserver une trace écrite de tous les échanges avec la banque et l’assureur
- Ne pas hésiter à contester un refus qui semblerait injustifié
Il est à noter que certains profils d’emprunteurs ont davantage intérêt à faire jouer la concurrence. Les jeunes actifs en bonne santé peuvent généralement obtenir des tarifs très avantageux auprès des assureurs alternatifs qui pratiquent une tarification individualisée, contrairement aux contrats groupe des banques qui mutualisent les risques.
Les professions à risque (artisans du bâtiment, professions médicales, etc.) peuvent quant à elles trouver des contrats mieux adaptés à leur situation professionnelle spécifique.
Enfin, même les personnes présentant un risque aggravé de santé peuvent avoir intérêt à explorer le marché, certains assureurs s’étant spécialisés dans ce segment avec des offres compétitives. La loi Lemoine a d’ailleurs renforcé les droits de ces emprunteurs en supprimant le questionnaire médical pour les prêts inférieurs à 200 000 euros arrivant à terme avant le 60ème anniversaire de l’assuré.
Bilan et perspectives de la réforme du marché de l’assurance emprunteur
Cinq ans après son entrée en vigueur, la loi Bourquin a indéniablement modifié le paysage de l’assurance emprunteur en France. Cette réforme a permis de renforcer la concurrence dans un secteur longtemps verrouillé par les établissements bancaires et a offert aux emprunteurs une réelle opportunité de réduire le coût de leur crédit immobilier.
Les chiffres témoignent d’une dynamique positive : selon l’étude d’impact de la loi Lemoine, environ 25% des nouveaux contrats d’assurance emprunteur sont désormais souscrits en délégation, contre 15% avant la loi Bourquin. Cette évolution, bien que significative, reste toutefois en-deçà du potentiel théorique du marché, suggérant que de nombreux emprunteurs n’exercent pas encore leur droit à la substitution.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation : manque d’information des consommateurs, complexité perçue des démarches, résistance de certains établissements bancaires, ou simple inertie des comportements. La loi Lemoine de 2022 a tenté de lever certains de ces obstacles en renforçant les obligations d’information et en simplifiant les procédures.
Quelles évolutions futures pour le marché de l’assurance emprunteur ?
Plusieurs tendances se dessinent pour l’avenir du marché de l’assurance emprunteur :
- Une digitalisation accrue des processus de souscription et de résiliation, facilitant les démarches des emprunteurs
- Une intensification de la concurrence avec l’arrivée de nouveaux acteurs, notamment des assurtechs
- Une personnalisation croissante des offres, adaptées aux profils et aux besoins spécifiques des emprunteurs
- Un renforcement de la transparence tarifaire, favorisé par les comparateurs en ligne et les courtiers
Le rôle des autorités de régulation, en particulier l’ACPR, devrait continuer à se renforcer pour garantir le respect effectif des droits des emprunteurs. Des sanctions plus dissuasives pourraient être prononcées contre les établissements qui ne respectent pas leurs obligations légales.
Enfin, la question de l’assurance emprunteur pourrait s’inscrire dans une réflexion plus large sur la mobilité bancaire et la portabilité des produits financiers. Des initiatives européennes visant à faciliter la mobilité des consommateurs dans le domaine des services financiers pourraient à terme influencer le cadre français.
En définitive, la loi Bourquin a constitué une étape majeure dans l’ouverture à la concurrence du marché de l’assurance emprunteur. Elle a posé les bases d’un système plus équilibré, où le consommateur dispose de réels leviers pour faire valoir ses droits et optimiser ses choix financiers. Les réformes successives, dont la loi Lemoine, ont consolidé ce dispositif qui continue d’évoluer au bénéfice des emprunteurs.
